Et si on parlait de condition féminine ?
Se réapproprier nos corps vieillissants : vers une déconstruction sociale de la ménopause
par Mélanie Therrien, historienne féministe et agente de communication à D’Main de Femmes
« Quand une fille a ses premières règles, on dit qu’elle devient une femme. Mais quand une femme arrête d’avoir ses règles, on dit quoi ? On dit rien. Chut! Tabou! On ne parle pas de ça. » – Véronique Cloutier
Parfois, des actions collectives comme la pétition lancée dans le cadre de la diffusion de Loto-Méno, un documentaire produit et animé par l’animatrice Véronique Cloutier en 2021, contribuent à faire avancer des enjeux féministes. La notoriété sociale de l’animatrice en plus de l’impressionnant nombre de signatures à sa pétition (plus de 110 000) ont contribué à la mise en place du remboursement des hormones bio-identiques, traitement pour soulager les symptômes de la ménopause, par la Régie d’assurance maladie du Québec en 2022.
Le sujet de la ménopause a commencé à m’intéresser peu avant la diffusion du documentaire, puisqu’ayant atteint la quarantaine, j’avance doucement vers cette période de ma vie. Dans ce billet de blogue, j’ai envie de vous partager mes découvertes historiques entourant les représentations de la ménopause au fil du temps. J’ai eu la chance d’explorer le sujet lors d’un travail de session en histoire des genres et du vieillissement. En ce qui me concerne, cela m’a beaucoup éclairée et m’a confirmé qu’il reste tant à faire pour déconstruire les mythes et tabous entourant la ménopause et bien la comprendre par le fait même. Ainsi, vous verrez dans ce billet de blogue plusieurs images des livres qui m’ont aidée à forger ma pensée et à appuyer les informations proposées dans mon travail de session. Certains se retrouvent dans la bibliothèque de D’Main de Femmes, n’hésitez pas à les réserver ou à en faire la demande s’ils n’y sont pas.
Un peu d’histoire…
Avant le 19e siècle, l’arrêt des menstruations est perçu comme un déséquilibre selon la théorie des humeurs qui détermine que le sang menstruel des femmes âgées retenu dans leur corps est un danger pour elles et ceux qui l’entourent. Selon l’historien Thomas Laqueur, qui a analysé les pensées des philosophes dans La Fabrique du sexe, depuis l’Antiquité jusqu’au 18e siècle, le corps des femmes et des hommes est perçu comme un modèle unique en présupposant que celui des femmes est incomplet, ce qui place le corps des hommes comme supérieur. Avec l’arrivée de la dissection et les avancées médicales au 18e siècle, on prend conscience des différences entre les sexes. La biologie dépasse désormais la croyance divine. Le corps masculin demeure toutefois la référence, la norme. Au 19e siècle, la médecine multiplie les hypothèses, les études et les théories sur la ménopause, d’autant plus que la psychiatrie prend son essor. L’aspect biologique est désormais croisé à l’aspect psychologique de cette période de la vie des femmes. La ménopause serait ainsi présentée comme une cause de folie selon les psychiatres. En 1816, le médecin français Charles Pierre Louis de Gardanne propose l’adoption du mot « ménespausie » qui signifie en grec « cessation des menstrues ». Dans De la ménopause ou de l’âge critique des femmes, paru en 1821, ce médecin adopte définitivement le mot ménopause.
Comme le mentionne Cécile Charlap dans La fabrique de la ménopause, la médecine s’approprie dès lors cet âge de la vie vécu par les femmes et représente la ménopause comme la fin de la féminité et de la jeunesse. Au début du 20e siècle, le narratif de grand dérèglement entourant la ménopause pèse lourd dans les descriptions entourant celle-ci. Le champ lexical de la déficience et de la dégénérescence est omniprésent : « carence hormonale », « atrophie des tissus génitaux », et plus encore. On assiste à un grand changement de paradigme dans les décennies 1920-1930. L’hypothèse que les causes de la ménopause seraient dues aux hormones, particulièrement aux hormones sexuelles dites féminines se concrétise. Ainsi, la médecine avance un nouveau modèle biologique impliquant une carence en œstrogènes dans le processus de la ménopause, tout comme d’autres insuffisances biologiques endocriniennes comme le diabète et l’hypothyroïdie. La ménopause apparaît alors graduellement comme une condition qu’on peut diagnostiquer, pathologiser et traiter. Dans les années 1970, la ménopause est « mise en science » et devient une pathologisation (une maladie) officielle. Cette représentation de la ménopause comme maladie renforce la construction du narratif de féminité affaiblie, souffrante, vulnérable tout au long de sa vie due à son sexe (puberté, grossesse, accouchement et maintenant ménopause). À l’inverse du corps masculin, référence de « normalité » en médecine, le corps féminin apparaît comme instable, criblé de symptômes invalidants et problématiques. En essentialisant le corps des femmes, on explique que leur « nature » biologique ne peut se soustraire à la réalité ménopausique.
La Dre Jen Gunter renchérit dans son livre Le Manifeste de la ménopause. Selon elle, à la ménopause biologique, s’ajoute la ménopause sociale qui enjoint les femmes à la cessation de la reproduction dès qu’elles atteignent la quarantaine. Elle s’opère d’abord au sein de l’institution médicale qui décourage les femmes en leur accolant des termes comme « grossesse à risque » ou encore « grossesse gériatrique » insinuant ainsi les possibles risques et difficultés d’enfanter à un âge aussi avancé. Transformée en norme, cette construction de la ménopause sociale est relayée dans les médias et à travers la population. Cette forme de stérilité sociale ne concerne que les femmes, les hommes, eux, sont libres de procréer jusqu’à leur mort. Il s’agit d’un bel exemple ici de double standard. Ainsi, le discours médical dominant en Occident, particulièrement depuis le 19e siècle, contribue à la construction sociale de la ménopause.
Reprise de pouvoir sur leur expérience de vie : l’agentivité des femmes
Comme le mentionne la Dre Sylvie Demers dans son livre Hormones au féminin : repensez votre santé, la prise de pouvoir sur sa propre expérience de la ménopause s’avère importante. L’agentivité des femmes prend ici tout son sens. On peut d’ailleurs définir l’agentivité comme la capacité d’agir par et pour soi-même. Dans le cas présent, faire preuve d’agentivité peut se traduire par le fait de s’éduquer sur les symptômes entourant la ménopause et sur la façon de les soulager. Cela peut aussi se faire en joignant un groupe de femmes qui vivent, elles aussi, leur ménopause. Elles peuvent partager leur vécu pour mieux comprendre les enjeux en lien avec la ménopause et analyser les impacts sur les conditions de vie des femmes, dont leur santé globale fait partie. Ainsi, ces réflexions peuvent mener à des revendications et à des actions collectives comme nous l’avons vu d’entrée de jeu avec la pétition concernant le remboursement des hormones bio-identiques.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que la ménopause est vécue différemment par toutes les femmes, qu’elle est construite socialement et que surtout, il importe d’en parler, de s’éduquer et de faire pression pour que cette phase de vie soit davantage étudiée afin d’offrir des soins adéquats aux personnes vivant cette transition avec plus de difficultés.
Pour poursuivre la réflexion
- Charlap, Cécile, La fabrique de la ménopause, Paris, CNRS éditions, 2022 [2019], 258 p.
- Demers, Dr Sylvie, Hormones au féminin : Repensez votre santé, Montréal, Éditions de l’Homme, 2009, 259 p.
- Gunter, Dre Jen, Le manifeste de la ménopause : factuel et féministe, un livre pour défendre votre cause, Montréal, Les Éditions du Trécarré, 2022, 519 p.
- Laqueur, Thomas Walter, La fabrique du sexe: essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 2013, 576 p.
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